Pourquoi des trognes ?
Avant l'emploi d'autres énergies et d'autres matériaux que le bois, avant les fourrages cultivés, les arbres et leur feuillage représentaient une richesse dont on n'a plus idée aujourd'hui. Émis près du sol, les rejets d'un taillis sont vulnérables, abîmés par les crues, les glaces ou les avalanches, piétinés, et surtout broutés par les herbivores sauvages et domestiques qui trouvent à leur hauteur une nourriture qu'ils affectionnent. Lapins, lièvres, cerfs, chevreuils, vaches, moutons, chèvres dévorent avec avidité ces jeunes pousses et leur feuillage. S'ils mangent les rameaux au fur et à mesure de leur repousse, les arbres finissent par mourir, incapables de se régénérer, la forêt régresse et disparaît. Avec la trogne, l'homme invente le « taillis suspendu », « haut taillis », « cépée aérienne », « forêt aérienne », « forêt sur pilotis », « prairie aérienne », hors d'atteinte de la dent des herbivores. Portées par un tronc les précieuses repousses apportent une production durable selon des cycles de tailles réguliers qui répondent à de multiples usages.
Rythme des cycles de taille et mémoire de l'arbre
Plus les cycles de taille sont espacés et moins les bourgeons dormants (latents) sont capables d'émettre de nouveaux rejets (suppléants). Cette dormance varie selon les essences. Chez le chêne, au-delà de vingt ans, les bourgeons sont beaucoup moins actifs. Un chêne de 150 ou 200 ans ne repart généralement pas de souche ; c'est pour cette raison que la forêt est renouvelée par semis ou plantations. Autrefois le cycle de taille des trognes de chênes variait de 6 à 15 ans selon les régions et les usages. Aujourd'hui un grand nombre d'entre elles meurent suite à des étrognages trop espacés, les dernières interventions remontant souvent à plus de cinquante années. À l'opposé, un sujet taillé chaque année, osier par exemple, rejette avec vigueur mais ne peut stocker beaucoup de réserves au niveau du tronc et des racines ; cela limite son espérance de vie et ralentit son grossissement. Le rythme des tailles est « gravé » dans les cernes de croissance. Très serrés, les premières années après le recépage, ils s'élargissent ensuite avec l'augmentation de la masse foliaire. L'étude de ces anneaux de croissance sur des vieux bois de charpente a permis de confirmer et de dater l'emploi très ancien de bois émondés dans l'habitat.